LE DEUIL POST-AVORTEMENT : MYTHE OU RÉALITÉ ?

par Laura Lewis MD, CCFP

Si certaines femmes ne ressentent pas de peine ou de deuil après un avortement, cela signifie-t-il qu'aucune femme n'est autorisée à éprouver ces sentiments après un avortement ?

Et si une femme éprouve des sentiments de chagrin ou de deuil ? Avons-nous le droit de lui dire qu'elle ne devrait pas se sentir ainsi ?

Le sujet de l'avortement et de ce que les femmes doivent ressentir à ce sujet est complexe et difficile. Pour la plupart des femmes, la décision d'interrompre une grossesse n'est pas prise à la légère et elle est souvent prise sous la pression, la peur et l'incertitude..[1] L'impact d'une telle décision peut être très différent selon les personnes. Quelle que soit la vision politique, idéologique ou religieuse de chacune, la décision profondément personnelle d'avorter est complexe, et certaines femmes ont besoin d'un type de soutien unique pour leur expérience post-avortement.

Il n'existe souvent pas de lieu claire pour faire le deuil de la perte d'un enfant à la suite d'un avortement, et par conséquent, une femme peut se sentir marginalisée, invisible et injustifiée dans sa peine. C'est ce que l'on appelle 'disenfranchised grief' en anglais... deuil dépossédé - un chagrin invisible qui n'est pas reconnu ou qui n'est pas validé par les normes sociales. C'est un type de deuil souvent minimisé ou non compris par les autres, ce qui le rend particulièrement difficile à traiter et à surmonter.[2]

En tant que médecin de famille, je n'avais aucune idée que certaines de mes patientes portaient un chagrin inexprimé lié à leur décision d'avorter. Ce n'est que lorsque j'ai pris le temps de poser des questions et d'écouter que leurs histoires ont été partagées et que des larmes ont coulé.

Il est important de reconnaître que si une femme éprouve du chagrin après un avortement, ce n'est pas le cas de toutes. En raison de ces réactions post-avortement variées, nous devons reconnaître qu'il ne nous appartient pas de dire aux femmes ce qu'elles doivent ressentir. Une société bienveillante fait de la place pour respecter l'expérience de chaque personne et valide ce qu'elle dit ressentir. Nous le faisons pour d'autres expériences, pourquoi pas pour l'avortement ?

Certains nient le fait que certaines femmes souffrent et éprouvent un deuil/une perte/un stress post-avortement,[3] mais la peine qui peut suivre un avortement. Depuis plus de vingt ans, plus de 9 000 femmes ont cherché de l'aide dans nos centres d'aide grossesse affiliés. Pour certaines d'entre elles, il s'agit d'une visite pour parler avec une personne qui les écoute avec empathie ; pour d'autres, il s'agit d'un parcours plus long pour surmonter leur chagrin. Le personnel des centres d'aide à la grossesse s'est assis avec les personnes en deuil, a écouté les femmes exprimer leurs sentiments et les a accompagnées dans leur processus de guérison. Les centres d'aide à la grossesse offrent un endroit sûr aux femmes qui ont subi un avortement.

Je discutais récemment avec une femme qui m'a dit qu'il lui avait fallu 40 ans pour mettre des mots sur son expérience de l'avortement et sur ce qu'elle avait ressenti par la suite. Elle l'a décrit comme une tornade venant souffler une petite bougie, encore et encore. Comment pouvons-nous ignorer ou invalider sa souffrance ?

Nier l'existence du deuil post-avortement ne le fera pas disparaître ; cela ne servira qu'à marginaliser les femmes qui cherchent un endroit sécuritaire pour surmonter leurs émotions.

Ce n'est pas parce que nous ne voulons pas qu'une chose existe - parce qu'elle remet en cause notre vision du monde ou provoque des émotions complexes - qu'elle n'est pas vraie ou valide.

Ce ne sont pas toutes les femmes qui ressentent une peine après un avortement. Mais certaines femmes oui. Et pour ces femmes, nous continuerons à nous présenter chaque jour avec respect et compassion.

[1] P.K. Coleman, K. Boswell, K. Etzkorn, and R. Turnwald, Women who suffered emotionally from abortion: a qualitative synthesis of their experiences, Journal of American Physicians and Surgeons 2017; 22(4): 112-118.

[2] https://www.healthline.com/health/mental-health/disenfranchised-grief

[3] Reardon, DC, The abortion and mental health controversy: A comprehensive literature review of common ground agreements, disagreements, actionable recommendations, and research opportunities. SAGE Open Medicine, Volume 6: 1-38 2018